dimanche 3 avril 2011

Cassage de gueule

J'entendais le maire de Sevran parler de la violence en banlieue. De tous ces types qui se font lyncher sur un quai de RER parce qu'ils ne sont pas du même village que la bande qu'ils ont eu le malheur de croiser.

La violence, cette chose étrange et quotidienne.

En 1989 (ou 1889 ?), j'étais dans un train militaire, retour d'Allemagne (le Baden Baden du vendredi soir, donc bondé). J'avais trouvé une place, miraculeusement. Autour de moi, trois autres mecs que je ne connaissais pas.

Une bande de mecs comme il y en avait dans chaque régiment débarque, l'oeil aux aguets, à la recherche de qui, de quoi ? L'un d'eux piétine un peu le sac de sport d'un de mes voisins, qui se met à râler. La bande revient en arrière, le ton monte, un petit mec avec un duvet sur la lèvre supérieure décroche son porte-clefs de sa ceinture et menace mon voisin.

Mon voisin continue à se plaindre. Alors le type au duvet commence à frapper. Il le cogne avec le porte-clefs, dont il se sert comme d'un poing américain. Le râleur veut se lever, l'autre lui donne un coup de genou dans le bas-ventre.

Je veux me lever, mais le type assis en face de moi me barre le passage et, très calmement, me force à me rasseoir en faisant "Tut, tut" entre ses dents. Je suis tétanisé.

Mon voisin est par terre en train de se faire éclater la gueule à coup de pieds, le petit mec le frappe au visage avec une clef bien pointue qu'il serre entre ses doigts. Ses copains le regardent faire sans intervenir mais en rigolant. L'un d'eux arrête le petit mec au duvet en lui disant que ça suffit. Le mec range son porte-clefs sans s'énerver, pique le blouson de sa victime qui pleure par terre : "Tu fais toujours le fier ?" et ils se barrent très vite.

Personne n'a bougé, n'a rien dit, pas même moi. Mais dix minutes plus tard, le type qui s'est fait éclater la figure est assis et plaisante avec ses copains. Il a un trou dans la lèvre inférieure (on voit ses dents derrière), un oeil au beurrre noir, il ne peut pas trop rire parce que ça lui fait mal aux côtes, mais il se marre bien en racontant la soirée qu'il va passer à se biturer avec ses copains. Personne ne parlait de l'incident. J'imagine qu'il a toujours, vingt ans plus tard, une petite cicatrice sur la lèvre inférieure.

Je ne sais pas pourquoi je raconte ça. Le type qui m'avait empêcher d'intervenir dormait maintenant avec son walkman sur les oreilles. On est entré en gare de l'Est. Les gars hurlaient "leur chiffre" - tradition débile qui consistait à crier le nombre de jours qu'il restait à tirer avant d'être "libéré de ses obligations militaires" (si Chirac a fait une seule chose bien dans sa vie, c'est de supprimer le service militaire, école de l'humiliation).

J'ai revu d'autres fois des types se faire défoncer, dans la vie. Mais là, la violence était partout, de part et d'autre, presque ritualisée. Et ceux qui n'y participaient pas la respectaient sans broncher, comme une fatalité.

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