mercredi 30 juin 2010

Le plus mauvais film de la Toile

Tourné chez Lady Dray, un soir de juin à Paris, lors de "l'Evénement post-cannois le plus prisé de la Capitale" (EPCPPC)
(Cliquez ci-après pour le voir : Le plus mauvais film de la Toile)

La main atrophiée

Mes ancêtres Morin (les autres, je ne vous le raconterai jamais) ont vécu pendant des siècles dans le sud de la Bourgogne, dans la région de Chalon-sur-Saône, en Saône-et-Loire, patrie de Nicéphore Niepce.

C'est là, sans doute dans le village de Ciel, que le nom "Morin" a connu sa plus grande révolution puisqu'il s'est vu contraint d'adopter d'une génération à l'autre un petit "a"  bizarre  - sous la main d'un secrétaire paroissial qui trouvait que ça suffisait comme ça, et qu'il devenait nécessaire de distinguer ma branche de la floppée de "Morin" qui pullulaient dans cette région giboyeuse, où l'on se régale encore aujourd'hui d'une infâme soupe de poiscailles à odeur de vase connue sous le nom rigolo de "pochouse".

Mes ancêtres Morain, après avoir été longtemps paysans, ont exercé pendant plusieurs générations le métier de charron. Ils fabriquaient et réparaient les chariots, les charrettes et leurs roues. A la fois fabricants de véhicules et garagistes, en somme.




Et puis un jour, au milieu du 19e siècle, l'une de mes ancêtres a accouché d'un petit Morain qui avait une main atrophiée. Catastrophe ! Comment en faire un charron ? L'enfant n'étant pas trop bête, on le poussa à faire des études, et c'est ainsi qu'il devint instituteur. Son fils devint lui-même instituteur. Mon grand-père devint ouvrier dans la chaudronnerie de Tournus, monta à Paris, devint contre-maître chez Wonder, rencontra une jeune femme dessinatrice industrielle qui venait de Mâcon, fit mon père avec elle, mon père devint ingénieur, conçut un premier fils avec ma mère, puis un second (moi), et nous y voici.

J'affirme que je suis la preuve vivante de la véracité des théories de Darwin. Je suis l'incarnation de la sélection naturelle. C'est parce qu'il avait un handicap que mon ancêtre a dû s'adapter au monde et en a profité pour s'élever dans l'échelle sociale. C'est parce que le monde avait évolué qu'il put aussi échanger un métier manuel contre un métier intellectuel.

Si mon ancêtre handicapé n'était pas né avec une main atrophiée, je ne serais sans doute pas là, dans la Capitale, à écrire des bêtises. Je serais peut-être garagiste à Tournus. Garagiste à Tournus... (les points de suspension veulent suggérer que je rêvasse).

Et sans la sélection naturelle, mon incapacité légendaire à résoudre des équations, qui faisait le désespoir de mon père, ne m'aurait pas obligé à m'adapter au monde qui m'entoure, à délaisser les concours d'entrée des grandes écoles d'ingénieurs (mon frère aîné combla heureusement les espérances paternelles en devenant polytechnicien) pour le spectacle et le compte-rendu des films (on fait ce qu'on peut).

Quelle évolution !

(Je ne sais pas pourquoi, mais je ne suis pas très sûr de m'être moi-même convaincu).

lundi 21 juin 2010

Les supposés reflets

Il y a un truc que les journalistes aiment beaucoup : le coup du "reflet de la société". Le symptôme qui trahit le syndrome.

Dernière manifestation : un joueur de foot célèbre dit des gros mots à destination de son entraîneur (c'est mal), on l'expulse de son équipe (sanction), ses copains ne sont pas contents et font grève : c'est le "reflet de la société", et l'illustration des "dérives du foot business", la preuve que les footballeurs professionnels de haut niveau sont devenus des enfants-rois qui estiment que tout leur est dû, qu'il ont le droit de faire la loi.

Mais s'ils jouaient mieux, s'ils avaient gagné des matchs haut le pied, personne ne le leur reprocherait. Tout déraille quand les résultats ne sont pas là. Ont-ils vraiment changé, les footballeurs français, depuis 1998, l'année où ils ont remporté la coupe du monde ?

On ne reproche aux footballeurs leur attitude que lorsqu'ils perdent (malheur au vaincus). Le reste du temps, ce "reflet de la société" ne dérange presque personne.

Pourquoi ?

Notre société est prête à accepter tous les abus, tous les caprices, toutes les tricheries pourvu qu'en échange, les salariés soient efficaces, rentables, à la mesure de ce pourquoi on les paie (remember Kerviel).


Ce qu'on leur reproche en réalité, ce n'est pas de se comporter comme des malotrus ou des voyous, mais de ne pas mériter leur salaire, leurs privilèges, leur réputation.

Comme tout bon entrepreneur d'aujourd'hui, nous voulons les virer parce qu'ils ne se montrent pas à la hauteur et parce qu'ils font tache.

Alors, comme tout bon entrepreneur, on les accuse de la rage.

C'est en cela que cette affaire est le "reflet de notre société".

Pardon.

mercredi 16 juin 2010

Engagement (2)

La Lettre au père de Kafka est le type même de texte qu'on écrit parce qu'on ne peut pas, parce qu'on n'est pas capable de dire ce qu'elle contient à la personne concernée.

C'est très important, cette protection que garantit l'écriture.

C'est non moins important, de signer ce qu'on écrit de son propre nom.

Ecrire est dans cet entre-deux : entre la revendication, le je qui assume la responsabilité de ce qu'il écrit, et l'absence physique.

mardi 15 juin 2010

"Les paroles s'envolent, les écrits restent"

N'importe quoi.

C'est d'ailleurs pour ça que les cabinets de psy sont pleins de gens qui viennent répéter ce que leur papa leur a dit 45 ans avant et qu'ils n'ont jamais oublié, au point de s'en rendre malades...

Pfffff.

J'en profite pour apporter mon soutien au Dr Sigismund Freud, à qui ça fait vraiment une belle jambe.

C'était juste un petit coucou, Sigmund, fais pas la tête.

mercredi 9 juin 2010

Harmonie du matin

"Ma chère Emilie,

Ma réponse à ta lettre arrive tard. Une foule d'occupations puissent-elles m'excuser.

N'enlève pas leur couronne de lauriers aux musiciens que tu cites dans ta lettre, elle leur est due. A moi pas encore.

Ton portefeuille sera conservé parmi d'autres cadeaux donnés par quelques personnes. C'est une marque d'estime que je suis encore bien loin de mériter.

Tu dis vouloir chanter. Persévère, n'exerce pas l'art seulement mais pénètre aussi en son être intime, il le mérite, car seuls l'art et la science élèvent l'homme jusqu'à la divinité.

Considère moi comme un ami et celui de ta famille.

Ludwig van Beethoven"

(lettre à Emile, 13 ans, datée du 17 février 1812)

mardi 1 juin 2010

Arrête de tirer sur la couverture !

Depuis quelques jours, nous sommes plusieurs journaux à nous réjouir de la Palme d'or de cette année. Même les plus rétifs aux prix (dont je fais partie) n'ont pu réprimer un cri de joie et même une petite larme (mais c'était sans doute le pollen printanier).

Oui, nous sommes pas mal à être contents pour Apichatpong Weerasethakul, que nous suivons de près, dont nous aimons les productions depuis environ dix années. Nous avons l'impression, valorisante, d'être pour quelque chose dans son succès honorifique. Et ça ne nous arrive pas tous les jours.

Le truc, après, c'est d'essayer de ne pas tirer la couverture à soi. On en connaît tous, des vieux critiques que je ne nommerais pas, qui s'enorgueillissent d'avoir découvert untel, de l'avoir aidé dans son ascension, d'être son ami, d'avoir su le promouvoir et le faire reconnaître à sa juste valeur, voire même à une valeur supérieure à sa valeur réelle. A entendre un type somme toute plein de bravoure comme Pierre Rissient, Eastwood ne serait rien sans lui, et John Ford lui a un jour glissé à l'oreille que personne n'avait jamais aussi bien compris son cinéma que lui...

Et on sent déjà certains chercher à se distinguer d'une masse peu conséquente mais qui leur semble trop considérable. Untel cherche à faire croire qu'il a toujours été le seul, dans son journal, à croire en Weerasethakul. De "nous", on passe à "je".

Voilà donc que la couverture bouge encore, se rétrécit. On la veut pour soi seul, comme Linus et son doudou dans les Peanuts, ou Laurel et Hardy se réfugiant dans un lit trop petit pour eux deux.

On tire la couverture à soi pour se protéger, s'emmitoufler, régresser.

Mais elle finit par ressembler un peu à un linceul dérisoire, la couverture.