vendredi 17 septembre 2010

Claude Chabrol


Un jour, j'ai parlé de Paul Gégauff avec Claude Chabrol (pour dire aussi beaucoup de mal du papier simpliste et idiot que lui avaient consacré les Cahiers du Cinéma dans un numéro spécial Chabrol des années 90).

Paul Gégauff (1922-1983), pour ceux qui l'ignoreraient, fut l'ami de Chabrol, de Godard, de Vadim, de Maurice Ronet ou de Johnny Hallyday, mais fut d'abord et avant tout celui de Rohmer, dès la Libération de Paris. Ecrivain chez Minuit, il devient scénariste et collabora avec Chabrol sur treize films, si je me souviens bien, dont Les Cousins, Les Bonnes Femmes, Que la bête meure, Une partie de plaisir (film rare adoré des sadomasochistes et dans lequel il jouait son propre rôle). C'était un homme de droite, une sorte de play-boy feignant issu de la bourgeoisie industrielle alsacienne. Provocateur. Il est mort assassiné par sa jeune femme, transpercé de coups de couteau un soir de Noël. L'affreux Eric Neuhoff parle de lui dans un de ses derniers bouquins - je n'ai pas lu.

En 1990, j'ai écrit un mémoire de maîtrise sur Paul Gégauff, qui m'a valu un prix. Il a circulé. Je ne m'intéresse plus à Gégauff.

Mais j'ai un jour parlé de Gégauff avec Chabrol, et il me raconta qu'il avait appris la mort de Gégauff alors qu'il se trouvait aux toilettes avec son poste de radio. Et que sa première réaction avait été physique : il avait vomi...

Voilà. Je voulais juste dire cela aujourd'hui sur Chabrol (on l'enterre tout à l'heure), non pour que vous imaginiez la scène, non pour le ridiculiser, mais parce que - c'est ça qui est bien sur les blogs, on peut écrire des phrases sans conclusion.

(Sinon, Jean-Baptiste Morain a écrit un peu vite une nécro de Chabrol dans les Inrocks. Comme d'habitude dans les papiers de ce type pas fiable, il contient au moins une erreur factuelle : Chabrol n'est pas du tout le premier à avoir écrit dans les Cahiers, puisque Rivette, au moins lui, a publié son premier article en février 1953, et Chabrol seulement en novembre 1953) :


Claude Chabrol  (1930-2010)
 « Le con ! » : c’est par ces mots qu’en 2003 Claude Chabrol avait réagi quand le hasard avait voulu que nous fussions les premiers à lui annoncer la mort du producteur Daniel Toscan du Plantier. La phrase dans sa bouche n’avait rien d’une insulte, mais quelque chose de populaire et d’affectueux.
Chabrol n’avait pas peur de déroger et allait volontiers faire son histrion dans les médias (il en avait compris tous les ressorts spectaculaires) : c’est le seul cinéaste digne de ce nom qu’on vit un soir, déjà septuagénaire, se mettre une plume dans le cul dans une émission de Fogiel ! Chabrol expliquait toujours qu’il était comme il se montrait, qu’il n’avait rien à cacher. Ah oui ? Tout son cinéma, fort noir, criait le contraire… On voulait bien croire que son goût pour la bonne chère fût réel, mais il avait suffisamment l’art et la manière de le mettre en avant, avec ses airs matois et gourmands, pour qu’on ait l’idée qu’il dissimulait pleins de tourments derrière. On sentait que sous ses divers masques de sincérité, il y avait un homme qui carburait du ciboulot, qui jetait un regard fort critique et effrayé sur le monde et l’humanité. Il riait beaucoup et c’était toujours le même océan qui était la cause de son hilarité jaune : la « connerie » humaine, si vaste et toujours recommencée, masse indistincte et opaque mêlant les vagues de la folie aux courants froids de la bêtise.
Mais le côté potache de Chabrol ne correspondait pas forcément à l’image que se font les gens d’un grand cinéaste. Conséquence : beaucoup ne le prenaient pas au sérieux. Pourtant ce fils de pharmacien parisien avait une haute idée du cinéma, et aussi du sien. Il l’eut même très tôt. Car, des futurs grands cinéastes de la « Nouvelle Vague » (Rohmer, Godard, Truffaut, Rivette), on peut dire qu’il fut souvent le premier : le premier des jeunes cinéphiles des années 50 (si l’on excepte Rohmer, plus vieux de dix ans) à écrire dans les Cahiers du cinéma d’André Bazin (dès novembre 1953). Le premier à écrire (avec Rohmer) un livre sur Hitchcock et à crier que ce cinéaste « commercial » était un génie ; le premier à devenir attaché de presse de la Fox (où ses amis lui succédèrent) et surtout, avant Truffaut et ses Quatre cents coups ou Godard et A bout de souffle, le premier de la bande des Jeunes turcs à ouvrir la voie en réalisant un long-métrage, Le Beau Serge, en 1958, interprété par deux acteurs majeurs de la Nouvelle Vague, Jean-Claude Brialy et Bernadette Lafont. Et enfin, le premier et seul cinéaste français d’après-guerre à réaliser autant de films : contre vents et marées, par tous les moyens (même les plus vils), avec des hauts et des bas (les Tigres dans les années 60, mais aussi des films d’auteur à succès dans les années 70), il enchaîna les films sans véritable pause, soit plus de 70 films (dont une bonne dizaine de téléfilms).
Toujours le premier, mais jamais d’avant-garde. Par timidité sans doute, à cause de cette lucidité exagérée qui vous oblige à l’humilité, il décida très tôt qu’il ne ferait jamais un chef d’œuvre et que – puisqu’il aimait le cinéma et faire des films par-dessus tout - il ne lui restait plus qu’à faire une œuvre, « à la Simenon, à la Balzac » dit-on toujours, accumulant les pierres les unes après les autres. C’est ce qu’il fit. Et là il ne riait plus. Dans les meilleurs moments, il dressa de la France un portrait qui restera comme l’une des meilleures photographies de notre époque : confite dans ses rites et son hypocrisie bourgeoise, qu’il savait si bien décrire, souvent avec chagrin (notamment dans les derniers). Mais, surtout, il le fit avec art, avec un souci permanent de la forme, de la composition de plan, du détail, hérité de son maître absolu qu’était Fritz Lang, sans son absolue rigueur. Mais il montrait aussi, parfois aux frontières du fantastique, la bêtise qui dirige les individus, la folie à laquelle les pousse parfois une sexualité refoulée, sans moyen d’y échapper : car s’il refusait de pénétrer les âmes (l’inconscient), il savait en mettre en scène les manifestations extérieures (souvenez-vous des regards perdus de  l’immense Stéphane Audran - son épouse et son actrice sur 25 films). Et il réalisa, contrairement à ce qu’il voulait bien dire, de vrais chef d’œuvres : Les Bonnes femmes, Que la bête meure, Le Boucher, Les Biches, La femme infidèle, Inspecteur Lavardin, La Cérémonie, et plus récemment La Demoiselle d’honneur et l’admirable La fille coupée en deux : deux films torrides qui mettaient en scène des jeunes gens (il offrit à Ludivine Sagnier, Laura Smet et Benoît Magimel leurs plus beaux rôles). Et son dernier films, très étrange, presque fragile, Bellamy, avec un Depardieu immense à nouveau. Chabrol est mort la même année qu’Eric Rohmer, le « Grand Momo » dont la disparition l’avait tant touché. Les cons !
Jean-Baptiste Morain

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Neuhoff : goûts de chiotte en cinéma, romancier passable, plaisant chroniqueur, de lui-même surtout (Barbe à papa, Comme hier, La Séance de mercredi 14 heures). Ses Insoumis (ils sont cinq, Gégauff est l'un d'eux) est un bon livre, quoiqu'un peu rapide.

Gégauff : un réjouissant cynisme. Arnaud Le Guern vient de préfacer une réédition de son excellent recueil de nouvelles, "Tous mes amis".

Chabrol : trop à dire. Juste un mot : pour connaître la bourgeoisie des années Pompidou (1969-74) ses films de l'époque valent mieux que tous les manuels de sociologie. Il faudrait les étudier en fac.

Christian Lançon

Anonyme a dit…

On dit toujours que l'oeuvre de Chabrol est le meilleur portrait de la France pompidolienne. Mais quand est-il de son oeuvre si on la découpe en fonction des autres présidents? Un creux Mietterand, si? Je ne connais pas assez la France pour cela, mais il me semble que son portrait des France de Chirac et de Sarko nous paraîtra assez juste dans 20 ans, non? J'aimerais bien lire un papier là-dessus.

UG

dasola a dit…

Bonjour, déjà deux ans que Chabrol disparaissait, je trouve qu'il manque dans le paysage cinématographique français même si je n'ai pas beaucoup aimé son dernier film: Bellamy (je m'étais ennuyée). J'appréciais surtout sa façon qu'il avait de diriger les acteurs (trices). Poiret dans Lavardin : génial et Huppert a trouvé ses meilleurs rôles sous sa direction. Bonne après-midi.