Je ne m'attendais pas à être aussi touché par la mort d'Eric Rohmer, qui était un événement assez prévisible : il avait 89 ans, et au fil des années et des interviews, nous l'avions vu - avec une émotion dont nous parlions entre journalistes -, vieillir, se recroqueviller sur lui-même sans jamais perdre de sa vive intelligence.
Il était plus serein, aussi, plus détendu, plus souriant qu'en 1990, la première fois que je l'ai rencontré (la première interview de ma vie), pour l'interroger sur son ami Paul Gégauff. J'étais paralysé, j'avais même failli rebrousser chemin, lui poser un lapin. J'étais très timide à 25 ans, et il l'était aussi énormément : en deux heures de temps, dans son petit bureau des films du Losange, je crois que nous nous sommes acharnés à nous éviter du regard. Je bégaie facilement, et il mangeait pas mal les mots. Les deux timides ! Quand il répondait aux questions, souvenez-vous, amis journalistes, il croisait ses bras, posait même ses mains sur ses épaules, et regardait souvent par terre, ou au plafond. Quand j'ai voulu réécouter la bande magnétique, je me suis aperçu que j'avais oublié d'enregistrer la seconde face...
J'étais retourné le voir quelques années plus tard avec Frédéric Bonnaud, à l'époque de Conte d'automne, lorsque les Inrocks avaient décidé de lui consacrer un supplément et la couverture de l'hebdo. Il avait refusé de paraître sur la couverture, mais accepté d'écrire un texte où il s'expliquait sur ses raisons de vouloir garder l'incognito (douce illusion, son visage étant déjà bien connu à l'époque). Je le titillais un peu sur la religion, il répondait avec un sourire en coin. Je crois qu'il croyait profondément en Dieu mais qu'il savait tout des contradictions qui existent en chaque homme entre le devoir et les réalités du désir. Et ça l'amusait. C'était un chrétien coquin.
Je devrais sans doute parler de cinéma ici, mais vraiment, je ne le sens pas aujourd'hui. Désolé de vous avoir bassinés. Je ne voulais pas la ramener. Juste évoquer un peu l'homme.
3 commentaires:
je te lis, je le vois , c'est bien lui, il est vivant
Quelle chance tu as d'avoir pu le rencontrer...
Superbe !
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